Auteur: Charlotte Bousquet
Édition: Gulf Stream
Collection: Electrogène
Parution: 3 septembre 2015
Pages: 395 pages
Quatrième de couverture:
Solange, dix-sept ans, court les bals parisiens en compagnie de Clémence et Lili. Naïve, la tête pleine de rêves, elle se laisse séduire par Robert Maximilien et accepte de l'épouser. Mais son prince est un tyran jaloux, qui ne la sort que pour l'exhiber lors des dîners mondains. Coincée entre Robert et Emma, sa vieille tante aigrie, Solange étouffe à petit feu. Quand la Première Guerre Mondiale éclate, Robert est envoyé au front. C'est l'occasion pour Solange de s'affranchir de la domination de son mari et de commencer enfin à vivre, dans une ville où les femmes s'organisent peu à peu sans les hommes...
Mon avis:
L'histoire débute en 1912 à Auvers-sur-Oise. Auvers-sur-Oise, petite commune du Val d'Oise qui a accueilli et inspiré des grands noms de la peinture impressionniste comme Cézanne, Pissarro ou le torturé Van Gogh.
Nous faisons la connaissance de Solange, une jeune femme de 17 ans.
Maltraitée, battue par un père alcoolique et tyrannique, elle décide de s'enfuir à Paris pour rejoindre son amie de toujours, Lili, afin de commencer une nouvelle vie emplie d'indépendance et de liberté. Solange est réservée, discrète, posée, aux antipodes de son amie qui mène une existence épicurienne faite de musique, de danse, de flirts et de tout ce que la vie peut apporter de léger, d'extravagant et d'instable. Lili, dont le charme n'est plus à démontrer, rêve de devenir une grande comédienne et de laisser son emprunte à l'image de l'immense Sarah Bernhardt.
Afin de subvenir à ses besoins, Solange se tue à la tâche comme couturière et découvre les frasques des plaisirs nocturnes parisiens. Plutôt introvertie, elle se laisse séduire par Robert Maximilien. Son cœur ne lui est pas ouvert mais sa raison lui dicte de se fier à la stabilité ainsi qu'à la sécurité matérielle qu'il peut lui apporter. En l'épousant, elle s'élève sur l'échelle sociale mais plonge derechef sous le joug d'un homme peu affable, autoritaire, qui la traite plus en tant qu'objet qu'en tant que femme. Elle se voit contrainte de s'occuper de tante Emma, vieille dame acariâtre qui lui donne du fil à retordre. La jalousie exacerbée de son mari la pousse à s'isoler de ses amies les plus proches.
La Première Guerre Mondiale éclate. Tous les hommes sont mobilisés et envoyer dans l'enfer des tranchées. Robert n'en est pas exempté.
Alors que les hommes sont sacrifiés, les femmes, souvent oubliées, s'organisent. Solange reprend contact avec ses amies qui, chacune de son côté, évoluent différemment face à l'horreur de la guerre.
La condition des femmes de cette époque nous est gravement envoyée à la figure. J'eus le cœur serré de voir à quel point elles furent exploitées, non considérées. J'éprouvai un sentiment de fierté en constatant la force, le courage et la grande solidarité dont elles ont fait preuve pour vivre, pour survivre. Grâce à elles, l'émancipation a pu se mettre en marche. Sur exemple des suffragettes anglaises, c'est tout un schéma qui va commencer à se déstructurer, à voler en éclat pour tendre vers le long chemin de l'égalité. Au lieu de s'effondrer, nous voyons nos héroïnes prendre de l'essor, de l'assurance, se dévoiler, se trouver, s'affirmer. La propagande patriotique est dénoncée, certains travers gouvernementaux montrés du doigt, sans omettre l'état terrible des soldats sur le terrain.
Une des figures qui m'a le plus marquée est celle de tante Emma qui, petit à petit, laisse tomber ses barrières face à Solange. Elle la prend sous son aile, l'éduque, la cultive, l'élève et la protège comme elle peut. Paradoxalement, elle s'appuie entièrement sur sa protégée. La confiance ainsi que la complicité entre ces deux êtres grandissent, sans limites. Je fus émue de voir ses craintes resurgir face aux réminiscences des affres de la guerre franco-prussienne de 1870, de la voir s'interposer entre Solange et son neveu, de ne pas hésiter à lui rappeler que sans elle, il ne serait rien. Tante Emma a un charisme extraordinaire et il est impossible de ne pas s'attacher à elle.
Charlotte Bousquet nous délecte, en plus d'un récit vraiment captivant, de références littéraires absolument exquises. Entre les nombreuses citations de Colette, son clin d’œil à Marcel Proust, qu'elle met en scène au détour rapide de réceptions mondaines, m'a amusée.
Il m'a été très difficile d'écrire cette chronique tellement ce livre m'a touchée. Cela fait plus de quinze jours que je l'ai terminé et il me hante encore. Je ne savais pas comment organiser, ni comment exprimer mes idées. Même maintenant, je ne suis pas convaincue de ce que je vous écris tellement j'aurais de choses à dire et tellement je ne trouve pas les bons mots pour le faire. En lisant cette histoire, j'ai ressenti certaines émotions et certains sentiments bouleversants qui m'avaient déjà envahi lors de la découverte d'une exposition consacrée à l'année 1917, il y a quelques années de cela.
Cet ouvrage est une véritable pépite aussi bien dans le fond que dans la forme. Très bien documenté, mêlant avec dextérité narration, récit épistolaire et journal intime, l'auteur nous plonge dans ces destins croisés, dans ces destins enchevêtrés, avec une telle force que la fiction en devient réalité.
Qu' il a dû être difficile de rédiger ce texte sans tomber
dans les clichés, de se mettre à la place de ces figures féminines
tellement fragiles et tellement fortes à la fois.
Là où tombent les anges est un magnifique roman historique qui témoigne de l'enfer du devoir et qui nous initie également à un pan de l'histoire trop méconnu à mon sens; celui des ces femmes sans qui rien n'aurait été possible, sans qui l'armée n'aurait rien pu faire, sans qui nous n'en serions pas là aujourd'hui. Cet ouvrage est facile d'accès; classé Young Adult, à cause de l'âge des principaux protagonistes je suppose, il aurait toute sa place dans la littérature adulte afin de toucher un plus large public (attention, il n'y a rien de péjoratif dans mes propos car il y a vraiment de très très bonnes choses en YA, la preuve!). Alors, je vous le dis, ce livre doit être lu, relu et par le plus grand nombre d'entre nous.